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Le désir et son interprétation

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Introduction à la lecture du Séminaire VI

Dominique Wintrebert

Publié aux Editions de La Martinière en juin 2013, Le désir et son interprétation(1), sixième opus du Séminaire de Lacan en est le plus volumineux, dépassant allègrement les 600 pages. Sa couverture est ornée d’un étonnant tableau du XVIe siècle : l’Allégorie de Vénus et Cupidon de Bronzino, signalé par Vasari comme d’une étonnante beauté. Il sert à merveille le propos du Séminaire VI. Selon les interprétations qui furent données de cette illustration du désir sexuel, on y trouve représentés la luxure, l’inceste, la convoitise, l’imprudence, la jalousie, la tromperie, la dissimulation, la folie, le châtiment, le combat du Temps avec l’Oubli, etc. Toutes ces thématiques viennent dire à quel point le désir n’est pas préformé, mais bien erratique. Elles supposent pour situer précisément le désir, que soit déjà établie la distinction du besoin, de la demande et du désir, distinction qui s’est opérée antérieurement dans l’œuvre de Lacan.

Jacques-Alain Miller
En quatrième de couverture, vous trouverez un lumineux résumé de Jacques-Alain Miller, rédacteur de l’œuvre parlée de Lacan. Il insiste sur l’actualité de ce Séminaire, dont la parution fut contemporaine du mariage pour tous. Il fait valoir comment ce séminaire remanie l’Œdipe freudien, Lacan démontrant dans son commentaire d’Hamlet que le père est un symptôme et terminant son année d’enseignement par un éloge de la perversion au sens où celle-ci dérange les normes établies.
Vous trouverez également de la plume de Jacques-Alain Miller un ajout intitulé « Marginalia »(2) dans lequel sont données quelques références propres à aider à la lecture de ce Séminaire.

Prendre le désir à la lettre
Dans « La direction de la cure et les principes de son pouvoir »(3), texte qui précède tout juste Le désir et son interprétation, Lacan donnait pour titre à l’envoi du texte : « Il faut prendre le désir à la lettre »(4). Il commençait avec ces mots : « Un rêve après tout n’est qu’un rêve, entend-on dire aujourd’hui. N’est-ce rien que Freud y ait reconnu le désir ? »(5) Déjà, le Séminaire précédent, Les formations de l’inconscient(6), s’était intéressé de près au désir et au rêve. Enumérons : chapitre 14 « le désir et la jouissance », 17, « Les formules du désir », 20, « Le rêve de la belle bouchère », 21, « Les rêves de l’eau qui dort », 22, « Le désir de l’Autre », 26, « Les circuits du désir ». Le graphe du désir y avait fait également son apparition, avec, à la toute fin du Séminaire V, une explication donnée par Lacan a un petit groupe d’auditeurs sur le schéma et ses points de capiton(7).

Le graphe
Eh bien, justement, le premier tiers du Séminaire VI est consacré au thème du rêve, dans le but de situer la place précise du désir dans le rêve en prenant appui sur le graphe, graphe qui permet d’inscrire la structure des phénomènes. Lacan avait conclu le précédent Séminaire sur le graphe. Il fait retour sur son mathème dans les deux premières leçons du Séminaire VI pour situer l’intentionnalité du sujet et sa prise dans les défilés de l’Autre signifiant. Le fameux « Che vuoi ? » emprunté au Diable amoureux de Cazotte, le « Que veux-tu ? » interrogeant le désir de l’Autre, crée une béance où le sujet devra établir son propre désir. Et déjà, il est question du « lieu de référence par où le désir va apprendre à se situer » : le fantasme. Mais ici, dans ce début du Séminaire, le a qui s’inscrit dans la formule du fantasme (S barré ◊ a) est l’autre imaginaire(8). Le graphe permet de situer contenu manifeste et contenu latent du rêve. C’est le fameux « selon son vœu », part soustraite et reconstruite par Freud dans le rêve du père mort que Lacan va situer du côté de l’énonciation.

Le rêve : voie royale
Sont étudiés comme jamais le rêve du père mort, celui de la petite Anna Freud, et, pièce maîtresse, celui d’un patient d’Ella Sharpe. Il est d’ailleurs notable que cette dernière soit parfois considérée comme un précurseur de Jacques Lacan en raison de l’attention qu’elle porta au symbolisme, particulièrement dans le rêve. Vous y apprendrez à ne pas confondre désir et plaisir, que la partition principe de plaisir, principe de réalité ruine l’idée d’instinct, qu’il y a deux « je » qui ne s’inscrivent pas dans le graphe au même étage, que le sujet vacille lorsque se montre l’objet de son désir. « En présence de l’objet a, il y a évanouissement du sujet. »(9) Il va s’agir de préciser quel est cet objet., « dans son essence, dans sa fonction, dans sa nature essentielle. »(10) Last but not least, vous trouverez dans une partie où Lacan critique l’influence kleinienne reçue par Ella Sharpe, la formule du rapport du sujet féminin au phallus : « Elle est sans l’avoir. »(11)

Le fantasme
Le fantasme comme entité imaginaire articulée au signifiant supplante l’imago à partir du Séminaire VI. Il est nous dit alors Lacan, « (…) le point clef, le point décisif, où doit se produire l’interprétation du désir. »(12) Sans doute est-ce pour cette raison que, dans son « Introduction à la lecture du Séminaire VI »(13), Jacques-Alain Miller prend comme fil le fantasme fondamental en faisant valoir que le sujet a recours au fantasme comme défense face au traumatisme.
« Le sujet en tant qu’évanouissant, en tant qu’il s’évanouit dans un certain rapport à un objet électif – voilà le rapport que je vous désigne par le fantasme. »(14) On croirait entendre formulé dans cette phrase ce qui plus tard sera élaboré comme condition du surgissement de l’angoisse ; Lacan reprend alors la notion d’aphanisis apportée par Jones, soit la crainte de la disparition du désir à l’approche du complexe de castration.

Hamlet
Pas moins de sept leçons sont consacrées au commentaire de la plus célèbre des tragédies shakespeariennes. Hamlet sert le propos de Lacan : approcher la fonction de l’objet dans le désir. Apparaît une première distinction : « objet du désir » et « objet dans le désir »(15). D’une façon symétrique, est souligné, dans ce qui paralyse Hamlet, la distinction du désir « non pas pour sa mère, mais de sa mère. »(16) Lacan va se servir du graphe pour situer le désir d’Hamlet confronté à l’horreur d’une mère qui est « un con béant »(17) et à un père qui le rend fou par ses adjurations. Lacan fait valoir comment Ophélie, puis son frère Laërte se situent « au niveau de la lettre»(18). Ophélie, d’abord image phallique du désir devient « la porteuse d’enfants et de tous les péchés. »(19) Il faudra et sa mort et l’affliction de son frère Laërte pour qu’elle redevienne agalmatique. « Mais le rendez-vous du désir avec son objet peut-il être articulé comme s’il s’agissait d’un simple appointment ? Peut-être est-ce autre chose. »(20) Voyons ici émerger la distinction fondamentale entre objet but et objet cause.

De la perversion à la sublimation
Lacan va alors revenir sur le fantasme fondamental pour en préciser la structure, faisant valoir que le propre du discours de l’inconscient est que le sujet y disparaît et qu’il trouve alors son support dans l’objet a, « rançon du fait que le sujet ne peut se situer dans le désir sans se châtrer. »(21) Trois guises de l’objet seront avancées par Lacan : l’objet prégénital, le phallus et le délire(22) dans sa recherche du réel du sujet entrant dans la coupure structurale du symbolique(23). Cela va l’amener à considérer la fonction de la fente dans le fantasme pervers, fente qui fait entrer le sujet pervers dans le désir de l’Autre(24). Jacques-Alain Miller a souligné la valeur de cette mise en avant de la coupure et cette promotion simultanée de l’objet prégénital : faire sortir l’objet a de l’imaginaire du stade du miroir où il était confiné et réintroduire la pulsion dans un édifice où le fantasme ne mettait en relation qu’un objet imaginaire avec des coordonnées symboliques. Il faudra encore longtemps pour que l’objet a acquière sa consistance logique, puis cède le pas à la jouissance.

Perspectives
Terminons par l’énoncé de thématiques tout juste effleurées dans ce Séminaire d’une richesse clinique et théorique formidable et qui vont nourrir parfois très tardivement l’enseignement de Lacan. Citons pêle-mêle : L’objet cause, l’inconsistance de l’Autre, le statut à donner du réel, l’inconscient réel(25), la dialectique entre l’Être et l’Un.

(1) Lacan J., Le Séminaire, Livre VI, Le désir et son interprétation, Paris, Editions de La Martinière, 2013
(2) Ibid., p.57-610
(3) Lacan J., « La direction de la cure et les principes de son pouvoir », Écrits, Paris, Seuil, 1966
(4) Ibid., p.620
(5) Ibid.
(6) Lacan J., Le Séminaire, Livre V, Les formations de l’inconscient, Paris, Seuil, 1998
(7) Ibid., p. 513-516
(8) Lacan J., Le Séminaire, Livre VI, Le désir et son interprétation, op. cit., p.30
(9) Ibid., p.130
(10) Ibid., p.131
(11) Ibid., p.258
(12) Ibid., p.54
(13) Miller J.-A., « Une introduction à la lecture du Séminaire VI, le désir et son interprétation », La Cause du désir, n°86, Navarin, 2014, p.62-72
(14) Lacan J., Le Séminaire, Livre VI, Le désir et son interprétation, op. cit., p.209
(15) Ibid., p.387
(16) Ibid., p.332
(17) Ibid., p.339
(18) Ibid., p.367
(19) Ibid., p.380
(20) Ibid., p.403
(21) Ibid., p.441
(22) Ibid., p.452
(23) Ibid., p.471
(24) Ibid., p.496
(25) Cité très justement par Philippe de Georges. Papers n°6, Comité d’action de l’AMP 2014-2016, p.8


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